Filicide

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1693 - Pierre Balluë, assassin par fanatisme

Le père tue sa fille

Le 25 juin 1693, les officiers de justice de Corbigny font une macabre découverte dans une vigne appartenant au tailleur d’habits Pierre Balluë[not 1] : le cadavre coupé en morceaux d’une jeune fille. La victime est aussitôt identifiée. C’est Françoise Balluë, l’une des filles du tailleur. Les témoignages sont accablants : la jeune fille a été assassinée le 4 du même mois par son père et sa mère Jeanne Leloy, « en haine de la conversion de ladite Françoise Balluë à la religion catholique, apostolique et romaine. »

Le procès-verbal rédigé par les autorités locales est transmis au présidial de Saint Pierre le Moûtier et, le 5 novembre 1694, après une assez longue instruction et de complexes recherches, Pierre Balluë est condamné « à faire amende honorable, nud en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, au-devant de la principale porte et entrée de l’église paroissiale de Saint-Seigne de la ville de Corbigny, où il sera conduit par l’exécuteur de la haute justice et là dira que meschamment, en haine de la religion catholique, apostolique et romaine, il a commis le parricide[not 2] en la personne de Françoise Balluë sa fille, dont il se repend et demande pardon à Dieu, au Roy, à la Justice. Ce fait, aura le poing de la main droite couppé au-devant de ladite église, et ensuite mené en la place publique de la ville de Corbigny pour avoir les jambes, cuisses et reins rompus, vif sur un échaffaut, qui pour cet effet sera dressé en ladite place, et mis ensuite sur une rouë, la face tournée vers le ciel pour y finir ses jours. Ce fait, son cadavre sera jetté dans un feu qui, pour cet effet, sera allumé auprès et ses cendres jettées au vent… »

Cette condamnation reste formelle car le condamné n’a pas été appréhendé. Toutefois, la cérémonie a lieu en effigie : un tableau représentant le meurtrier est promené de l’église à la place publique et les châtiments successifs sont administrés à ce tableau par le bourreau. Cette exécution en effigie a coûté la somme de cent livres.

Le crime de Pierre Balluë n’est pas un acte de dément. Tous les témoins interrogés par le bailli de Corbigny et le lieutenant criminel décrivent le tailleur comme un homme paisible, efficace et serviable. Pierre Balluë, dit de Sainte-Foy, n’a pas tué sous l’empire de l’ivresse, ni à la suite d’un égarement de sa raison. Il a sacrifié sa fille dans l’exaltation du fanatisme religieux. Au-delà des siècles, alors qu’autour de nous l’intolérance, l’épuration ethnique et la violence raciste s’agitent un peu partout, le crime de Pierre Balluë nous interpelle et nous fournit un aspect peu reluisant du siècle de Louis XIV.

Que sait-on de Pierre Balluë ?

Il est né vers 1647 au lieu-dit Sainte-Foy, d’où son surnom. Sa première épouse, Anne Jougan, qui lui a donné plusieurs filles - dont Françoise - est décédée le 27 avril 1680[not 3]. Le 11 janvier 1682, Pierre Balluë a épousé en secondes noces Jeanne Leloy, fille du menuisier Simon Leloy.

Après l’assassinat de sa fille, le signalement de Pierre Balluë est diffusé : un homme de petite taille, aux yeux enfoncés, aux cheveux châtains, longs et mêlés de blanc (il a alors près de 50 ans), de petite corpulence, un peu voûté, le teint coloré ; il parle un peu du nez.

Dernière information qui est loin d’être un simple détail : Balluë fait partie des religionnaires de Corbigny, autrement dit : il est protestant.

Seconde enquête : la fuite de l’assassin

Après son forfait, Balluë quitte Corbigny discrètement. C’est à la suite de dénonciations que la justice est alertée ; la confraternité des protestant aura plusieurs fois des failles et le silence sera rompu autant par les proches de Pierre Balluë (son épouse, sans doute prise de remords) que par certains de ses protecteurs.

Le 23 juin 1693, un premier jugement est rendu contre le contumax. Le lieutenant criminel charge l’huissier Chaillot d’assigner le meurtrier « à comparoir » sous quinzaine pour répondre de son acte. D’autres assignations sont confiées aux huissiers de Corbigny, les sieurs Guillemain et Chevrier. A plusieurs reprises, du 10 juillet au 3 novembre 1693, le préconiseur Florimond Goubillot, de Saint Pierre le Moûtier, et son collègue corbigeois annoncent au son du tambour que Pierre Balluë doit se rendre au tribunal. Le meurtrier est introuvable.

Un an plus tard, l’enquête reprend et quelques indices sont livrés. Jean Chambon, aubergiste du Logis de la Gaule, à La Charité, affirme que peu après le meurtre Pierre Balluë a dîné chez lui à plusieurs reprises. Il résidait alors chez ses coreligionnaires de La Charité Abraham Jallot et son fils Simon. Plusieurs commerçants de la ville viennent dénoncer les complices de l’évasion de Pierre Balluë. Des filières de fuite existaient, d’abord le long de la Loire puis vers les frontières orientales du royaume. Daniel Jallot aurait gardé l’assassin trois ou quatre jours chez lui puis il l’aurait fait installer dans un bateau et lui aurait donné de l’argent.

Il est difficile de croire sur paroles les innombrables témoins qui viennent déposer contre Balluë en novembre 1694. A La Charité comme à Corbigny on découvre que le meurtrier, présenté d’abord comme un homme calme, travailleur et sympathique, aurait eu une foule d’ennemis : des gens qui, manifestement, en rajoutent, soit par pur esprit de vengeance, soit pour se dédouaner. La procédure s’enlise sous cette avalanche de témoignages imprécis. Il manque à cet énorme dossier[not 4] quelques précisions sur le sort de Jeanne Leloy, l’épouse du meurtrier : alors que les premiers documents l’associaient au meurtre, elle est absente de la seconde enquête. Aurait-elle abjuré le protestantisme pour échapper à la justice ?

Dernière énigme, qui ne sera sans doute jamais résolue : qu’est-il advenu de Pierre Balluë ? A-t-il refait sa vie dans un pays d’exil ? Où ? Comment ? A-t-il des descendants ?

Notes et références

Notes

  1. Le nom est aussi orthographié Ballu, Balut, Balus. L’orthographe adoptée ici est celle de l’acte d’accusation.
  2. Logiquement, Pierre Balluë aurait dû être accusé d’infanticide. Mais ce terme s’appliquait au meurtre d’un enfant en bas âge. Le terme parricide semble avoir été adopté pour tout meurtre familial d’un adulte ou d’un adolescent, quel que soit le lien de parenté avec le meurtrier.
  3. Registre de Ceux de la Religion (c‘est à dire les Protestants), du 29 mai 1668 au 27 décembre 1684, A.D.N., cote IV-E 8 à 11.
  4. A.D.N., Registre des Affaires Criminelles du bailliage, cotes 2B 85 et 2B 201.

References